Un petit extrait du livre de Muriel Barbery que je trouve épatant.
A lire sans modération
Si tu oublies le futur tu perds le présent
Il ne faut pas oublier les vieux au corps pourri, les vieux tout près d’une mort à laquelle les jeunes ne veulent pas penser (alors qu’ils confient à la maison de retraite le soin d’y amener leurs parents sans esclandre ni tracas), l’inexistante joie de ces dernières heures dont il faudrait profiter à fond et qu’on subit dans l’ennui, l’amertume et le ressassement. Il ne faut pas oublier que le corps dépérit, que les amis meurent, que tous vous oublient, que la fin est solitude. Ne pas oublier non plus que ces vieux ont été jeunes, que le temps d’une vie est dérisoire, qu’on a vingt ans un jour et quatre-vingts le lendemain. Colombe croit qu’on peut s’empresser d’oublier parce que c’est encore tellement loin pour elle, la perspective de la vieillesse, que c’est comme si ça n’allait jamais lui arriver. Moi, j’ai compris très tôt qu’une vie ça passe en un rien de temps, en regardant les adultes autour de moi, si pressés, si stressés par l’échéance, si avides de maintenant pour ne pas penser à demain... Mais si on redoute le lendemain, c’est parce qu’on ne sait pas construire le présent et quand on ne sait pas construire le présent, on se raconte qu’on le pourra demain et c’est fichu parce que demain finit toujours par devenir aujourd’hui, vous voyez ?
Donc, il ne faut surtout pas oublier tout ça. Il faut vivre avec cette certitude que nous vieillirons et que ce ne sera pas beau, pas bon, pas gai. Et se dire que c’est maintenant qui importe : construire, maintenant quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. Toujours avoir en tête la maison de retraite pour se dépasser chaque jour, le rendre impérissable. Gravir pas à pas son Everest à soi et le faire de telle sorte que chaque pas soit un peu d’éternité.
Le futur, ça sert à ça : à construire le présent avec des vrais projets de vivants.